Les Papillons Bleus De Léontine

Le temps maussade du mois d'octobre a commencé.
Il pleut, il pleuuuuuuuuut.... Et en partant ce matin, ma fille n'a pas manqué de me rappeler ce bon vieux dicton de la fête à la grenouille.
Allez! Au Diable le brushing, je compte bien sortir prendre l'air en ce jour de repos!

Les rues du centre-ville agenais sont tellement vides...
Il n'y a que trois ou quatre parapluies qui se croisent sans même se regarder.
Les gens ont les sourcils froncés et pressent le pas.
Et me voilà donc avec ma joyeuse trombine de grenouillette mouillée jusqu'aux os, cheveux trempés avec frisotis compris et sourire jusqu'aux oreilles!
Je traverse tranquillement le boulevard de la République comme un jour de carnaval ce qui m'attire les regards ahuris des passants emmitouflés dans leurs écharpes précoces.
J'ai mis ma robe patineuse bordeaux et le rouge à lèvres assortis, mes bottines noires à lacets n'ont pas peur de la pluie et je suis bien décidée à affronter ce ciel tout gris!

A peine arrivée je constate que, comme d'habitude, j'ai oublié que la plupart des commerces sont fermés le lundi matin!
Ma banquière sera contente, ce n'est pas aujourd'hui que je vais faire flamber les comptes...
Bref, il est bientôt midi et mon estomac vient de me crier famine...
Mon errance pluvieuse m'a conduite près de l'ancien cinéma, j'entrevois ma vieille amie La Grande Gare qui me salue au loin, je lui souris affectueusement et pousse la porte de ma destination d'aujourd'hui: le salon de thé "Au Bonheur Des Dames"...
J'étais déjà venue ici il y a fort longtemps.
Rien que le nom me plaisait beaucoup et en plus il fait aussi restaurant.
Et oui Messieurs Dames je l'avoue, je suis de celles qui sont capables d'acheter quelque chose d'inutile juuuuste parce que le nom est rigolo et de manger un aliment seulement parce que l'emballage est joli...
je suis faible que voulez-vous! 😊

En rentrant dans le restaurant je reconnais immédiatement une de mes chansons favorites, "Torn" de Nathalie Imbruglia.
Ca commence à dater je vous l'accorde mais tous mes amis vous diront que je suis un être bizarre complétement hors du temps, hélas!
Bref, voilà que devant moi se tient une farandole de muffins et de petites friandises en tous genres...
Ca commence bien!
Il n'y a pas grand monde, la pluie n'a laissé venir que les courageux et les affamés comme moi.
Pourtant le décor est tellement beau, on se croirait dans un vieux film en noir et blanc...
(Je vérifie tout de même que Jean Gabin ne soit pas assis quelque part par-là...non c'est bon.)

Le bar est noir, très chic et travaillé.
Il y a des meubles en fer forgé et des fauteuils confortables.
Des livres sont posés par-ci par-là, comme si les gens venaient de temps en temps continuer leur lecture entre deux occupations...
Les friandises et autres trésors caloriques sont bien rangés dans d'élégantes bonbonnières en verre.
C'est chic, un brin vintage et ça me plaît toujours autant.
Il y a une estrade aussi dans le fond de la pièce, on y trouve des banquettes d'un joli velours parme.
Elle est protégée par une petite rambarde peinte en noir qui ressemble à celles des rues du vieux Paris.
C'est ici que je décide de poser mes affaires et mon esprit éparpillé...

Sur mon estrade il n'y que trois tables, toutes carrées.
Je choisis la plus petite, celle du milieu.
Je suis agréablement surprise de découvrir qu'elle porte le numéro trois, mon chiffre préféré.
La banquette parme est douce, d'ici je vois tout et ne manque rien!
La rambarde me protège des clients curieux et des regards trop insistants...
En effet, je remarque désormais qu'à chacune de mes sorties les gens sont toujours troublés par mon cahier et mon stylo qui s'agite.
Parfois ils posent des questions, parfois non... mais ils sont toujours là à regarder ce que je fais!
Et lorsque j'écris en mangeant c'est encore pire! Je m'amuse alors de leur comportement discret (qui n'est pas discret du tout d'ailleurs) en les regardant parler à voix basse à leur voisin de table en se demandant si je suis une journaliste culinaire!

La salle est de taille moyenne mais les serveuses ne se roulent pas les pouces pour autant.
Celle qui m'installe est la seule brune du trio.
Cheveux coupés au carré, rouge à lèvre et souriante.
Elle marche avec rythme et à chaque virage entre les tables son pull gris perle bouge comme une cape de super héros.
Le temps que je jette un rapide coup d'œil à la carte, la radio chante une autre chanson que j'adore (décidément!) et qui me donne toujours envie de rire sans que je ne sache vraiment pourquoi, "Matador" de Mickey 3D.
J'étais donc sagement en train de chanter avec mes doigts lorsque SuperBrunette revint à l'abordage.

Un effiloché de confit et ses pommes grenailles feront totalement l'affaire (le canard c'est la vie!).
Je commande au passage du thé pour le repas (ne me demandez pas pourquoi!) et demande conseil.
SuperBrunette me recommande sa spécialité maison, le thé "Porte-Bonheur", ce qui vous vous en doutez m'a conquise d'office.
C'est une seconde serveuse qui m'apporte mon plat quelques minutes plus tard.
Grande, blonde et un accent un peu russe.
L'assiette à peine posée,  la voilà déjà étonnée par la présence de mon cahier ouvert sur la table!
Son expression me fait tellement rire à l'intérieur de mon corps qu'une fraction de seconde j'ai peur qu'elle en entende les répercussions!

Le confit est délicieux.
Sous mon assiette le set de table en papier est un passage du livre de Zola, le célèbre "Au Bonheur Des Dames" que je n'ai jamais lu.
Je remarque néanmoins que la traduction anglaise se dit "Ladies' Paradise"...
J'étais justement en train de me dire que mon effiloché de canard avait un petit goût de Paradis quand PoupéeRusse me porta le fameux thé "Porte-Bonheur".
Je décide d'attendre qu'il refroidisse un peu avant de le goûter.

Le temps d'écrire quelques lignes je me rends compte qu'il ne reste que moi dans la salle.
Il y a bien quelques fumeurs en terrasse mais la pluie à bel et bien chassé toute la populasse...
Moi qui comptait écouter les cancans et tout vous répéter ce soir, j'ai gagné le cocotier avec cette satanée météo!
Le thé est très bon, j'espère que SuperBrunette disait vrai et qu'il me portera bonheur.
Encore un piège à superstitieux, comme moi 😊
Des nouvelles d'un vieil ami au cours du repas me poussent à croire que la magie à finalement un peu marché.

C'est tellement joli la magie, dommage que les adultes n'y croient plus en grandissant...
Mon arrière grand-mère Léontine disait toujours "Papillon bleu, fais un vœu !".
Et moi comme une enfant de huit ans je me plais à croire encore que chaque papillon bleu que je croise m'écoute gentiment et aussitôt parti, ira exhausser mais prières sans tarder.
Sacré mémé Léontine.
Elle disait que j'avais des mains de pianistes et un cou de danseuse!
Ce souvenir me fait encore beaucoup sourire...
La pauvre mémé Léontine serait bien déçue de savoir que je ne suis devenue ni l'un ni l'autre.
Je ne suis finalement qu'une simple fleur bleue, le cœur tantôt artichaud, tantôt artifroid...
J'ai la larme au fond des yeux à chaque fois que je vois voler une montgolfière, je souris bêtement à chaque papillon qui se pose dans le jardin...
Je sauve tous les escargots qui traversent mon chemin et je parle même aux étoiles les soirs d'été!
Un drôle d'oiseau me dirait-elle, mais voilà ce que je suis.
Une grande enfant qui rigole de toutes les blagues et qui crois encore en la magie des choses et des mots.
Je bois de la grenadine avec une paille même à 29 ans et je ne sais toujours pas ouvrir un emballage correctement...
Je continue de mâchouiller chaque bâton de sucette comme quand nous étions ados, je retire les pétales des marguerites en récitant "un peu, beaucoup..." et je danse aussi toute seule dans ma voiture!
Voilà mémé, voilà.
Tu peux le dire que je n'ai pas changé! 😊
Je ne sais même pas de quoi tu rêvais toi... peut-être que nous étions pareilles finalement.
Gentilles et maladroites.
Bref, je ne suis donc ni pianiste ni danseuse étoile tu vois mémé, mais j'espère que de là-haut tu es fière de moi et de mes bêtises.

Le thé Porte-Bonheur m'apportera peut-être de la chance qui sait?
En attendant mon assiette est terminée et ma théière pratiquement vide.
SuperBrunette commence à nettoyer les tables, déjà 15h00 !!!!
Allez je file.
En ouvrant la porte je me rends compte que la pluie et le ciel gris ont laissé place à un soleil magnifique! Le bal des parapluies est terminé et les gens sont de retour sur le boulevard!
Sacré Léontine...

C'etait quand même un bel endroit ce Bonheur des Dames, Zola a bien choisi le titre de son livre...
Et puis finalement, peut-être que moi aussi un jour j'écrirai le mien sur le bonheur et les malheurs des gens?
Sur leurs amours fous et leurs aventures à dormir debout?
Qu'en penses-tu Léontine?
Ce serait quand même une belle histoire tu ne trouves pas?
Allez mémé c'est décidé, j'en parlerai à mon prochain papillon bleu, c'est promis... ❤



"A toutes mes bonnes étoiles, à tout mes papillons porte-bonheur, aux montgolfières dans le ciel et à toi que j'aime probablement depuis des milliers d'années et dont je ne me lasserais jamais..."










Commentaires

  1. Très touchant et si proche de chacun d’entre nous.

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  2. Très jolie histoire comme d'habitude ! Votre façon d'écrire me captive !!!

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