Shakespeare Le Chat et les Oiseaux enchanteurs

 

Tous les soirs au soleil couchant, Shakespeare le mystérieux chat du 4 rue des Mariniers émerge doucement de sa longue sieste.

Il ouvre un œil, puis l’autre.

Il s’étire le dos en rond et prélasse ses deux pattes avant dans un bâillement déconcertant !

Comme à son habitude il a passé toute la journée à dormir à l’ombre de la glycine parfumée de ses maîtres Peter et Margareth, deux expatriés anglais qui coulent une retraite paisible dans cette jolie maison de pierre au cœur du village.

Comme toutes les maisons du quartier historique il est vrai qu’elle est un peu étroite et biscornue mais il suffit de s’arrêter deux minutes devant elle pour sentir le bonheur qui se reflète dans chacune de ses pierres…

Un petit paillasson de paille souhaite toujours la « bienvenue » aux invités devant la porte et il y a aussi une table ronde bleu ciel à peine assez large pour boire le café du matin.

La glycine longe toute la longueur de la maison et en ces jours de printemps le chant des abeilles qui butinent berce les après-midi de notre fameux Shakespeare.

C’est Margareth qui l’a réveillé.

Comme tous les soirs avant de confortablement s’installer devant le film, elle prend bien soin d’arroser chaque fleur du devant de porte.

Avec sa longue et épaisse natte rousse Margareth a le visage doux et les yeux clairs.

Elle aime le jardinage comme le thé à l’orange : passionnément.

Son mari Peter, un homme grand et fin aux joues roses (si reconnaissables aux anglais), termine la vaisselle du soir pendant que la théière sonne l’heure de la tisane aux tilleul du jardin.

 

La rue est calme, les soirées de juin sont déjà douces cette année.

A cette heure les fenêtres des maisons voisines sont encore ouvertes et on distingue ici et là des brides de conversations de fin de journée et des voix d’enfants qui rechignent à aller se coucher…

Margareth attaque le dernier pot de géranium, il est temps pour Shakespeare de se remuer un peu.

Lentement il tourbillonne autours des mollets de sa maîtresse à grands coups de ronrons et de frémissement de moustaches.

Quelques caresses plus tard et le dernier arrosage terminé, Margareth satisfaite repars tranquillement à l’intérieur rejoindre son tendre époux en refermant la porte dans un tintement de carillon.

Notre chat en profite pour faire quelques pas.

Il saute alors avec élégance sur la murette en pierres des voisins.

Le fond de l’air est agréable et le parfum des roses de jardins embaume la rue.

C’est un joli quartier, fait de petites rues tortueuses et de maisons dorées par la pierre du Lot.

Les devants de porte sont fleuris et entretenus.

Ici les gens sont discrets, serviables et toujours polis.

Shakespeare habite ici depuis 6 ans, il mène une vie bien tranquille avec ses petites habitudes et ses promenades du soir.

Il connait chaque recoin de ce paisible quartier autrefois peuplé par les pêcheurs du fleuve.

Le soir venu (et seulement une fois que le dernier pot de géranium ne fut arrosé !), il se plait à faire sa toilette sur cette murette en attendant…le signe.

Mais quel signe me direz-vous ?

Et bien Messieurs Dames le signe que son escapade secrète peut commencer…

Lorsque sonnent les neuf coups de cloche de l’église et que Pistache le vieux chien du voisin se lève péniblement pour rentrer se coucher chez ses maîtres, alors il est temps de partir à l’aventure !

 

A cette heure-ci les fenêtres se sont refermées et on n’entend désormais que le bal des hirondelles en chasse dans le ciel et un certain programme télé un peu trop bruyant, celui de chez madame Cosabella qui comme tout le monde le sait est sourde comme un pot.

Shakespeare descend sans un bruit de sa tour de contrôle, le pas léger et insouciant.

Le soleil couchant met en valeur son pelage roux et blanc et il se plait à rouler des mécaniques devant la petite brochette de pigeons venus profiter de la chaleur du quai goudronné.

Certains d’entre eux lèvent même les yeux au ciel en le regardant passer.

 

Le fleuve file doucement et les derniers rayons du soleil mettent en lumière les milliers de boules de pollen qui dansent au-dessus de l’eau.

Un martin-pêcheur s’est posé sur la rambarde du quai, comme pour admirer ce spectacle de poésie.

Notre Shakespeare lui ne s’attarde pas. Non, il a rendez-vous.

A l’angle de la rue des Mariniers où il avait rejoint puis longé le quai, il tourne à droite.

Il emprunte alors une rue tellement étroite que seuls les chats, les pigeons, les martin-pêcheurs et les poètes en ont connaissance…

Aucune plaque ne murmure son nom, aucun lampadaire n’éclaire son chemin.

Seulement le lierre sauvage habite ses murs, recouvrant de son épais manteau vert les secrets qui se chuchotent ici.

Notre chat connait bien ces secrets et les merveilles qu’ils contiennent.

Il marche encore quelques mètres jusqu’au mur qui referme cette impasse.

Le lierre sauvage en recouvre chaque centimètre mais là, bien caché sous la seule feuille dorée de ce mur végétal, se tient une grenouille bien surprenante !

Serait-ce son chapeau haut de forme ou sa pipe fumante sculptée dans une brindille de saule qui la rend si singulière ?

Je ne saurai choisir mais ce que je puis vous dire Messieurs Dames c’est que Dame Grenouille ne plaisante guère avec son devoir de gardienne de porte !

En effet, sitôt Shakespeare devant sa pipe elle lui adressa un regard hautain en lui soufflant d’un nuage de fumée :

_Quel est le mot de passe mon brave ?

_Dame Grenouille c’est moi voyons ! Dois-je m’annoncer de la sorte à chacune de mes visites ? S’exclama le chat. Par pitié un peu de simplicité en ce vendredi !

La grenouille manqua de peu de s’étouffer dans sa pipe et lui rétorqua plus sèchement encore :

_Les règles sont les règles mon cher Shakespeare ! Et vous n’êtes ni le Pape ni le gardien de cette porte ! Alors j’attends le mot de passe !

Shakespeare soupira longuement puis fini par lâcher :

_Farfadet, jus de gribouille et pissenlit.

_Grand bien vous fasse Shakespeare le Chat, je vous souhaite la bienvenue ! Lui adressa la Dame Grenouille pleinement satisfaite.

Et dans un nuage de fumée elle s’écarta pour lui laisser accès au passage secret.

Un passage si étroit que même le chat peine à s’y glisser mais l’heure tourne et il ne raterait son rendez-vous pour rien au monde.

Devant lui plus qu’un rideau de fleurs et de feuilles lumineuses qui masque la fin du voyage.

Ça y est, il est enfin arrivé à destination.

Le voici à La Cour Enchantée.

Aucun humain ne connait cet endroit, le ciel lui-même garde le secret de son existence.

Ici ne viennent que les créatures magiques, les poètes enchanteurs et les chats bien-pensants.

On ne saurait mesurer sur combien de distances ici la magie s’étire, comme dans un mirage personne n’en voit la fin.

En ces lieux poussent des fleurs inconnues, des plantes philosophes, et des arbres charmeurs de fées.

Les oiseaux qui s’y aventurent ont des plumages majestueux et des chants capables de réparer n’importe quel cœur.

Shakespeare connait tout le monde ici et comme à son habitude il salut chaleureusement l’assemblée.

_Bien le bonsoir l’ami Basile, l’air est doux en ce vendredi n’est-ce pas ? Lança-t-il à un hibou grand-duc confortablement installé à lire son journal sur un fauteuil de mousse.

_Oh cher ami ! Quel bon vent vous amène ? La belle Bérénice aurait-elle des ennuis ? Lui répondit le hibou le regard soucieux.

 _Hélas j’en ai peur… Dame Grenouille m’a informé ce matin que le moral n’allait pas fort. Bérénice devrait arriver sous peu nous verrons bien.

_Bien, bien… Espérons que tout ceci rentre rapidement en ordre mon ami. Je vous souhaite la bien belle soirée !

_A vous aussi Basile, à vous aussi…

Shakespeare n’a pas le cœur à la fête ce soir, il a l’esprit préoccupé.

Bérénice est sa plus tendre amie.

Il fit sa rencontre un soir d’été alors qu’il se baladait sur les berges du fleuve.

Bérénice est une fille de l’eau, une fée naïade. Et comme toutes les filles du fleuve, son destin est tout tracé.

Mais voilà, elle rêve d’autre chose. De fêtes et de chansons, de jardins et de maisons.

Bérénice n’est pas comme les autres et rêve d’une autre vie, celle des oiseaux qui volent au-dessus des nuages ou des chats qui comme Shakespeare déambulent dans les rues à leur convenance et libres de tout…

Mais les naïades se doivent de rester près des eaux, gardiennes des fleuves et des rivières, destinées à vivre près des hommes-ruisseau.

Alors Bérénice s’échappe le soir venu, elle se transforme en créature terrestre ce qui est fortement défendu, et découvre en secret cet univers interdit qu’elle espère tant.

Elle écoute avec délectation les nouvelles que lui porte son fidèle compagnon Shakespeare avant de repartir au petit matin.

Il lui raconte alors le bal des hirondelles, les longues siestes sous la glycine, le parfum des roses du jardin, les mots doux de Peter à belle Margareth et la chaleur des pierres d’or qui les vieilles maisons du Lot abritent encore…

 

Alors que notre chat se plaisait à contempler le vol des oiseaux enchanteurs, une adorable minette couleur lune se faufila de derrière la cascade de fleurs lumineuses.

Fine, élégante, elle portait une tâche en forme de goutte blanche sur le front.

_Bérénice…fit Shakespeare soulagé.

_Bonsoir mon ami. Qu’il est bon de te revoir ici lui répondit-elle tout en reprenant son apparence de fée.

Elle était toute menue et pas plus haute qu’un rocher. Sa chevelure blonde était joliment coiffée d’une tresse longue jusqu’aux pieds.

Elle avait les yeux couleur cascade et le regard triste.

De fins bracelets de perles blanches sublimaient ses poignets et sa longue robe avait la couleur d’un nymphéa de soie rose pâle.

Elle était belle, hypnotisante et triste.

Bérénice s’assis auprès de son fidèle compagnon. Leva la tête, le regard rêveur, vers ces oiseaux qui dit-on avaient le pourvoir de réparer les cœurs.

_Tu as le cœur lourd je vois…Je suis là.

Shakespeare avait posé la patte bienveillante sur sa main délicate.

Une fine larme coula alors le long de sa joue, la naïade pleurait sans que son visage n’exprime de chagrin, comme une âme éteinte, comme un cœur vide et distant désormais de toute situation.

_Crois-tu Shakespeare que la lune nous regarde parfois ?

Le souffle du chat se serra soudain et d’une voix douce il lui murmura :

_Je vais te dire un secret ma douce et tendre amie. Lorsqu’elle se cache et qu’elle est sombre non la lune ne nous regarde pas. Mais lorsqu’elle est blanche et magnifique alors je sais qu’elle ne voit que toi.

Bérénice sourit et tourna la tête vers son ami.

_Heureusement que tu es là… Dit-elle affectueusement en déposant un baiser sur la joue du chat.

_Que se passe-t-il ? Parles-moi ! Dame Grenouille m’a annoncé ta venue ce matin, elle m’a dit ton cœur lourd et l’urgence de ta détresse.

_C’est les naïades Shakespeare ! Elles me marient demain au Prince des Roseaux. Je suis anéantie, brisée, finie. J’ai bien essayé de leur parler, de leur expliquer ! Mais rien n’y a fait Shakespeare.

Elle avait la voix nouée à chacun de ces mots.

_Et ton père ? demanda pesamment le chat.

_Mon père comprends ma peine souffla-t-elle. Mais il dit hélas que mes rêves d’oiseau ne m’apporteront rien de bon, qu’il est temps de devenir raisonnable et que le Prince est un homme bon.

 

Le silence s’installa quelques secondes, comme si le temps s’était interrompu.

Shakespeare qui d’ordinaire avait toujours le mot pour rire, ne l’avais plus.

Bérénice, elle, regardait les créatures de ce petit Paradis enchanté comme résignée à le plus jamais les revoir.

Et puis dans un instant suspendu, un des oiseaux enchanteurs vint se poser près d’eux. C’était un animal fabuleux, presque irréel.

Ses yeux d’un noir intense vous enveloppaient comme une couverture réconfortante.

Lorsqu’il posait son regard sur vous, sa douceur vous envahissait jusqu’au plus profond de vos entrailles.

Ses plumes flottaient comme dans un rêve enchanté… C’était de la vieille magie, celle qui sauve les cas désespérés.

L’oiseau qui avait la hauteur et la grâce d’un héron s’avança vers Bérénice et de son bec délicat lui caressa la joue.

_Naïade, je sais ton cœur malheureux. Ton chagrin est si profond que le mien souffre rien qu’en te regardant. Ne pleure pas mon enfant, ne pleure pas.

Ton âme est douce, continua-t-il, ton courage est grand et ton amour bon.

Ne t’inquiètes pas, saches que nous les oiseaux enchanteurs avons le pouvoir de te sauver, fermes les yeux maintenant.

 

Toutes les créatures de la Cour avaient écouté ses paroles, émerveillées.

Même les fleurs et les plantes s’étaient retournées.

Bérénice la naïade ferma ses yeux. Son âme remplie d’angoisses, de peurs et d’espoir mélangés.

Shakespeare n’en perdait pas une miette, bouche bée.

Même Basile le grand-duc regardait la scène, son journal tombé au sol, comme hypnotisé…

L’oiseau souleva gracieusement une de ses ailes et délicatement il prit dans son bec une plume enchantée.

Il la déposa sur les genoux de la fée et la couleur de sa robe pris instantanément celle de la plume.

_Ouvres tes yeux douce enfant dit l’oiseau.

Bérénice s’exécuta, son visage et son cœur semblait alors être revenu à la vie.

L’oiseau lui chanta alors :

« Naïade n’ai plus peur désormais,

Par cette plume, de ton sort soit délivré,

Dans les eaux tu ne retourneras plus jamais,

Chaque jour de ta vie maintenant tu sauras voler »

 

Et la plume se mit à tourner autour de Bérénice, comme une danse céleste qui chaque seconde semblait la ressusciter.

Ses yeux et ses cheveux prièrent alors une couleur ambrée chaleureuse, sa robe devint légère comme un nuage poudré et son sourire plus radieux que jamais.

 

Ainsi Messieurs Dames, lorsque votre cœur se remplira de chagrin (et peu importe la raison), rappelez-vous de cette Cour.

Ce lieu où les grenouilles fument des pipes, où les chats parlent de lune et où les oiseaux changent les jeunes filles dévastées en magnifiques créatures enchantées…

 

 

 Au bal des Hirondelles que j'entends encore parfois, à la fille de l'eau que j'étais autrefois...

Commentaires

  1. On est transporté par l’écriture fluide et les mots enchantés. C’était une belle histoire à lire !!
    * la femme aux hortensias *

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  2. C est très beau. J’avais l impression de me trouver aux côtés de Shakespeare pendant toute ma lecture. On est vite plongé dans l histoire. Ça donne envie de lire une suite :)

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  3. J'aime l'univers de Shakespeare

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