Le Doux Parfum de Mamounette

Mi-septembre.
Le vent souffle déjà ses chansons d'automne, balayant sur les trottoirs les feuilles bicolores et les brindilles fatiguées de fin de saison...
Il est vrai que les vacances d'été sont loin maintenant et les enfants ont bien repris le chemin de l'école.
En ce mercredi matin je prépare mon fameux petit cahier de papiers vieillis car voyez-vous j'ai rendez-vous!
Et oui Messieurs Dames! J'ai rendez-vous avec Stéphanie.
Stéphanie c'est une inconnue qui par hasard a croisé le chemin de La Même Étoile.
Après quelques clics et 9 messages je lui donne rendez-vous devant une ancienne cabine téléphonique du centre-ville qui, je ne le découvrirai qu'à mon arrivée sur place, n'existe plus 😄
Bref peu importe puisque nous nous sommes reconnues tout de suite.
Il est vrai que la pauvre est un peu stressée car parler de soi à une totale inconnue n'est jamais chose facile!
Nous nous installons à la terrasse d'un café et faisons connaissance.

Stéphanie est née le 15 mars 1975 à Agen, où elle a toujours vécue.
Elle ne cache pas son côté timide mais ne rougit pas pour autant.
C'est une personne gentille, on le voit de suite.
Le vent frais de septembre embête ses cheveux blonds de temps à autres et ramène de petites mèches sur ses yeux.
Stéphanie a décidé de parler de sa vie et de m'ouvrir un peu son cœur.
Elle est l'avant dernière d'une fratrie de sept enfants.
Fille de cheminot et de mère au foyer.
Sa mère Claudette était une belle âme, toute petite et rondouillette de gourmandise.
C'était une mère aimante, très bonne cuisinière, qui chaque dimanche poussait les meubles pour installer le grand repas de famille.
Chacun était serré comme une sardine mais toute la maison sentait l'amour et le couscous.
Car le voilà le secret de Claudette, son couscous! Personne n'a jamais su y résister.
Henri, le père de Stéphanie était un homme de caractère, têtu comme une mule mais incroyablement adorable.
Parfois il fallait que Claudette arrondisse les angles, forcément, mais que voulez-vous? C'est bien normal avec sept enfants sous le même toit.
Voilà comment ça se passait à "La maison du Garde-Barrières", on n'avait pas beaucoup de sous mais on riait et on vivait heureux...
Il aimait le jardin Henri, alors pour faire plaisir à Claudette il plantait des roses rouges (ses préférées) et des tulipes.
Et puis un gros potager aussi, pour que tout le monde puisse avoir des légumes.

Et puis les enfants ont grandi.
Chacun est parti voler de ses propres ailes, comme Stéphanie à ses 18 ans.
A l'époque elle faisait un apprentissage en coiffure, mais une amourette un peu bancale avec un policier un peu trop volage la poussa a tout quitter pour Paris à la grande inquiétude de ses parents.
C'est quelques années plus tard, le cœur blessé, qu'elle retourna au pays.
Des petits contrats, un travail à l'hôpital de Mombran... il n'en fallait pas plus pour rencontrer à l'âge de 22 ans son futur mari Philippe.
Et un soir de Saint-valentin Cupidon c'est chargé de l'affaire!
Un premier petit garçon naîtra très rapidement de leur union, Maxime.
Puis quatre ans plus tard, Rémi agrandit la famille.
Stéphanie est fière de ses enfants, elle les aime autant que le ciel compte d'étoiles...
Deux grands garçons âgés maintenant de 19 et 16 ans aux caractères très différents.
Elle a l'esprit de famille Stéphanie, car quand on vient d'une famille nombreuse comme elle on partage les bonheurs comme les peines.

Et des peines elle en a eu...
Un jour elle apprend que sa sœur ainée, Claire, est atteinte d'un cancer.
Le combat durera cinq longues années, mais Stéphanie restera près d'elle jusqu'au bout, quite à mettre sa propre vie entre parenthèses.
Il y a eu des rires, des discussions inoubliables, des soirs un peu trop arrosés.
Et puis malgré tout l'amour de sa famille, Claire s'éteignit chez elle le 21 septembre 2010.

Face à la maladie il est sûr que la victoire n'est jamais certaine, mais l'important est de faire les choses avec amour, dignité et empathie.
C'est ce qu'à fait Stéphanie malgré la perte de sa sœur.
Malheureusement, les sombres nouvelles n'arrivent jamais seules...
C'est ainsi que le cancer emporta 9 mois plus tard le joli cœur de Claudette.
Claudette... cette brave Claudette qui, il est vrai, n'était plus la même depuis la mort de sa fille.
Tous ses enfants étaient là avec elle ce jour-là, dans sa maison aux jolies roses rouges.
Elle aimait les babas au rhum, les tulipes d'Henri et faire plaisir à ses enfants.
Claudette, la douce Mamounette s'envola comme un petit oiseau porté par tout l'amour de sa famille un jour de juin.
La faute au cancer, la faute au temps qui passe...

Henri lui, alors âgé de 75 ans n'accepta jamais le décès de sa femme.
Peu importe les visites quotidiennes des enfants...
Il est resté là, dans la maison du Garde-Barrières, à s'occuper des roses rouges, des tulipes et du potager.
Comme s'il préparait son plus beau bouquet pour le jour où Claudette et Claire viendront le chercher...
Et puis le jardinage et les années qui passent ne font pas bon ménage, son dos de cheminot commençait à crier à l'aide.
Un an après le décès de sa tendre épouse, Henri Godillon subissait une banale opération qui allait malheureusement mal tourner...

Lundi matin. Le téléphone sonne.
Stéphanie décroche, un infirmier lui confirme le retour à domicile de son père.
A sa grande surprise quand les portes de l'ambulance s'ouvrent dans l'allée, c'est un papa très mal en point qu'elle reconnaît à peine.
Certes l'homme est âgé mais tout de même...
Le lendemain sera pire, tout le monde passe à la maison, les visages sont graves.
Le médecin a dit que sa tension était bonne... alors il faut peut-être attendre qu'il se remette d'aplomb?
Dans la nuit de mardi à mercredi, après être rentrée chez elle , Stéphanie est réveillée par la sonnerie du téléphone de la maison.
Le réveil affiche 1h30.
C'est la sœur jumelle de Claire, celle qui était cette nuit-là au chevet d'Henri.
Tout s'enchaîne, la panique, le trajet dans la nuit noire, son père qui s'étouffe, les secours qui arrivent...
Henri fait une occlusion intestinale, et il est déjà trop tard.
Son vieux cœur, lourd de vieillesse et de chagrin décide d'arrêter de battre.
Désormais il est en paix, il attend ses dames.
Tant pis pour le bouquet de roses rouges! Avec tout ça il n'a pas eu le temps de faire du jardinage.
Claire et Claudette comprendront, il le sait.
D'ailleurs il sent déjà la bonne odeur du couscous du dimanche...

Et voilà, la maison du Garde-Barrières fut vendue par la SNCF.
Avec ses cerisiers, ses souvenirs et ses tulipes dans le jardin.
Stéphanie ne regrette rien, elle aimera toujours ses parents et sa sœur disparue.
Elle est d'ailleurs plus apaisée lorsqu'elle répond à mes fameuses questions de fin:

Votre plus beau souvenir?
La naissance de mes enfants, deux garçons adorables.
Votre plus belle rencontre?
Mes parents.
De quoi rêvez-vous la nuit?
Je rêve de ma mère, elle ne me dit rien mais je sais qu'elle va bien et qu'elle a le sourire.
Votre péché mignon?
Mes copines du basket.
La plus belle chose que vous aillez faite par amour?
M'occuper de mes parents.
Le métier que vous aimeriez faire?
M'occuper des personnes âgées.
La chose que vous aimeriez changer dans le monde ou dans votre vie?
J'aimerais arrêter les guerres.
Vous vous voyez où dans 10 ans?
Dans 10 ans j'aurais 52 ans , j'espère que je serai en train de pouponner mes petits-enfants!
La liste des choses à faire avant que Mamounette, Papou et les autres viennent vous chercher?
Mettre de l'ordre dans mes papiers, organiser mon départ et faire un film de souvenirs pour mes proches.
Lorsque vous ne serez plus là, qu'aimeriez-vous que les gens disent en pensant à vous?
Mon mari dit parfois que je suis la gentillesse incarnée, alors j'aimerais qu'ils disent ça... que j'étais une femme aimante qui m'occupait bien des autres.

L'histoire d'une famille soudée, avec ses joies et ses peines.
Mais même si le temps nous prend les piliers de nos vies, nos mères, nos pères, nos sœurs et nos amis, n'oubliez pas qu'il restera toujours ceci: Le Doux Parfum.
Le Doux Parfum des choses Stéphanie.
Le parfum de votre mère, le parfum des repas du dimanche, le parfum des roses rouges de ce cher Henri.
Le Doux Parfum c'est ce que l'on ne pourra jamais vous prendre, celui qui restera là même au-dessus de nos tombes.
Le parfum des souvenirs, celui des fleurs de cerisiers, des grimaces de Papou et des babas au rhum que mangeait Mamounette avec gourmandise.
Voilà la force du Doux Parfum Stéphanie, alors gardez-le bien dans votre cœur, votre joli cœur aimant parce qu'avec lui rien n'est impossible...


Henri et Claudette

Stéphanie et ses deux fils (Maxime et Rémi) 

Commentaires

  1. Très belle histoire, comme toujours tu mets du baume au coeur de tout le monde. Bravo ma belle, continue, on adore <3

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  2. Merci ❤️❤️❤️❤️❤️❤️❤️

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  3. Une belle soirée en vous lisant merci. Quelques larmes mais pour la beauté de cette histoire

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  4. Oh comme c'est émouvant ! J'ai eu du mal à lire la fin car mes yeux sont remplis de larmes...

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  5. tellement beau ,une histoire triste mais qui fut heureuse

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